Cluster 13

Projet

Editions critiques

Contact : Antony Mckenna

La science de l’édition critique est la science historique des textes, une discipline reine parmi les sciences historiques, qui se fonde sur la tradition prestigieuse et sur les exigences rigoureuses de la philologie. Elle vise à garantir la fiabilité du texte établi et donc l’authenticité de la leçon d’histoire : une tentative d’introduire la certitude dans l’univers fuyant de la vraisemblance historique. La philologie est une école de rigueur et de précision, d’acribie, de sobriété et de discrétion, d’humilité enfin... : un aspect vital de la formation en études humanistes.

Dans l’établissement de l’édition critique, l’historien des textes joue un rôle capital dans la constitution de notre patrimoine et il porte une responsabilité lourde à l’égard de notre héritage culturel.

L’édition critique constitue, en effet, un apport scientifique crucial, le lien nécessaire entre notre histoire et l’avenir de notre culture : le philologue est conscient que de ses travaux va dépendre la manière dont on percevra le passé, dont on enseignera l’histoire, dont on percevra les œuvres et les auteurs. Il joue ainsi un rôle essentiel dans la construction de notre identité culturelle.

La philologie a l’ambition de reconstruire le passé et cette reconstruction repose sur une méthode rigoureuse qui vise à garantir la fiabilité scientifique, historique, du texte. Cette science suppose une étape préalable, constituée par la recherche des textes-sources, que ceux-ci soient uniques ou multiples, et, bien entendu, cette quête est elle-même guidée par une connaissance approfondie de l’histoire. L’attention se porte ensuite sur l’écriture des manuscrits dans sa matérialité, ce qui suscite un ensemble de disciplines connexes : la codicologie, science des manuscrits, du papier, de l’encre, de l’écriture, de l’abréviation... : tout ce qui permet d’établir avec certitude ce que porte le texte qu’on a sous les yeux. L’étape suivante est celle de la comparaison, qui permet d’établir la généalogie des versions connues, dont il se peut qu’aucune ne soit l’originale : c’est la science des variantes qui établit avec rigueur les filiations possibles d’un texte (manuscrit ou imprimé) à l’autre. On est ainsi conduit à construire l’arbre généalogique des textes d’une même « famille » et au choix du texte à éditer. Si on a la certitude d’avoir en main le texte autographe de l’auteur, ce choix est vite fait. Cependant, les choses sont souvent plus compliquées et on ne dispose en général, en ce qui concerne les textes classiques et même ceux de l’époque moderne (on pense aux manuscrits philosophiques clandestins qui ont circulé sous le manteau), que de différentes versions dérivées de l’original, comportant des erreurs évidentes, des lacunes, des bévues de copiste... Dans la tradition classique, humaniste - et dans l’école italienne d’aujourd’hui - on propose un texte déduit de l’ensemble des variantes et qui est présenté comme le texte le plus vraisemblable, le texte le plus près de l’original perdu : on parle dans ce cas d’un texte composite, dont le seul inconvénient (mais qui peut être envisagé comme une tache rédhibitoire) est qu’on n’a aucune certitude qu’il ait jamais existé historiquement. Au début du XXe siècle, Gustave Lanson a proposé de traiter de façon distincte les textes de l’époque moderne et de choisir une version historiquement certaine, c’est-à-dire une version qu’on peut avoir matériellement sous les yeux : ainsi, quand on lit le texte critique que Lanson a établi des Lettres philosophiques de Voltaire, on sait qu’on a affaire au texte que ses lecteurs ont connu en 1734. Les erreurs typographiques de cette version, les modifications ultérieures de ce texte introduites par Voltaire lui-même... tout cela sera l’affaire des notes de bas de page, d’une annotation qui devient très complexe et parfois ardue... Enfin, le texte est ainsi établi selon les exigences des différentes écoles. Commence alors la discipline de l’interprétation.

Celle-ci est définie d’abord, dans les sciences historiques, par la recherche de ce que l’auteur a « voulu dire ». En d’autres termes, après avoir pris des soins infinis dans l’établissement du texte dans sa matérialité, on lit entre les lignes... et cette lecture est guidée par la référence nuancée aux textes de l’époque. C’est ainsi que la contextualisation permet d’écarter les connotations anachroniques, d’établir une annotation qui précise le sens voulu par l’auteur (et éventuellement le sens saisi par ses premiers lecteurs) et de définir les enjeux historiques, sociaux, intellectuels, scientifiques, philosophiques, religieux ou spirituels du texte. En effet, le texte peut être envisagé sous ces angles multiples et c’est en ouvrant l’esprit à ces différents angles (ou à ces différents niveaux) d’interprétation qu’on peut avoir l’ambition de saisir les sens du texte et de dialoguer avec l’auteur.

La méthode philologique exige ainsi une formation à l’esprit scientifique et à la rigueur : c’est un aspect essentiel de la formation des jeunes chercheurs au respect du texte, à l’écoute du témoignage historique, à l’attention au mot et à la nuance du sens.

A la vénérable science de la philologie, la technologie moderne apporte une abondance, une accessibilité et une rapidité extraordinaires.

L’édition numérique permet d’accéder à l’ensemble de la littérature classique au moyen d’un DVD-ROM. L’ensemble des 161 tomes de la Patrologie latino-grecque établie par Jacques-Paul Migne entre 1857 et 1866, avec l’ensemble des index établis par ses commentateurs, tient sur un DVD-ROM. De telles ressources créent évidemment de nouveaux moyens de lecture et suscitent de nouvelles questions. Tout le monde a à l’esprit le cri d’alarme poussé par Jean-Noël Jeanneney, Président de la Bibliothèque Nationale de France, à propos du grand projet Google de numérisation d’un vaste corpus de textes. L’inquiétude est légitime que ceux qui détiendront de telles bases de données textuelles contrôleront l’accès à la culture : à nous, Européens, de nous unir et d’assurer notre accès propre et indépendant à notre propre patrimoine... La Région Rhône-Alpes a démontré qu’elle a su relever ce défi par sa politique patrimoniale, par sa volonté de mettre à la disposition des établissements de notre Région toutes les ressources techniques et culturelles des bases de données textuelles existantes. Cependant, la numérisation simple de l’ensemble de notre patrimoine ne peut être envisagée : aucune technologie actuelle ne permet la numérisation fiable d’un texte antérieur au XIXe siècle. Qu’est-ce qui est disponible dans ce domaine ? Quelle est la fiabilité des bases textuelles dont nous disposons dans notre Région grâce à BRAIN ? Comment est-ce que la situation peut évoluer ? Voilà quelques questions auxquelles nous aurons l’ambition de répondre au cours des prochaines années dans le cadre du projet « Editions critiques » du « Cluster 13 ».

D’autres questions encore sont posées par l’édition non seulement numérique mais critique, constituée sous forme de base de données, où l’ensemble de l’annotation, critique (concernant l’état des manuscrits et éventuellement les variantes des différentes éditions), explicative (concernant l’identification des personnes ou des événements), lexicologique (concernant la traduction d’une langue ancienne), et l’indexation (qui permet d’accéder au moyen d’un clic à l’ensemble des occurrences de tel nom dans l’ensemble du ou des texte(s)) - toute cette annotation est présente et immédiatement accessible sous forme de co-documents. Les variantes laborieusement annotées et commentées par l’éditeur dans la version papier peuvent (et devraient) maintenant s’accompagner des images de tous les manuscrits et des différentes leçons proposées par tous les différents éditeurs. On met ainsi la technologie moderne au service de la philologie classique : c’est une leçon d’efficacité et d’économie. Et à ces ressources s’ajoute celle de la diffusion numérique, qui met l’ensemble de notre production à la portée de tout le monde immédiatement. C’est une révolution dans la philologie, ou plutôt c’est une révolution technologique qui permet de mieux réaliser les ambitions initiales de la philologie. La technologie moderne n’écarte pas les exigences du philologue : elles permet de les accomplir.

Tous les textes sont donc disponibles à tous immédiatement. Une telle révolution entraîne des changements dans la lecture des textes, dans la nature de ce qui est recherché dans les textes.

Puisque les bases de données constitueront sous peu (d’ici une quinzaine d’années) la voie d’accès privilégiée aux textes, il importe de définir nos attentes et nos ambitions. Dans cette multitude de données, qu’est-ce qui est recherché ? Quels sont les critères qui guideront notre lecture - ou notre parcours - du texte ? A quels outils nous fierons-nous pour faire le tri, pour ordonner, pour organiser notre lecture (car il ne sera plus question de tout lire) ? La technologie soulève ainsi des questions cruciales sur le statut des données et des moyens qui permettent leur saisie, sur les ambitions intellectuelles de notre lecture, pour que celle-ci ne devienne pas la réponse automatique à une question formulée involontairement de telle sorte qu’elle ne pouvait, compte tenu des moyens technologiques de recherche disponibles, aboutir qu’à cette réponse-là. La technologie doit permettre à la lecture de rester une quête ouverte de sens ou des sens, et ne doit pas la refermer dans la tautologie.

L’ensemble du projet Editions critiques présenté ici démontre d’abord que les chercheurs de notre Région Rhône-Alpes ont une haute idée du statut et de la valeur de l’édition critique, et il témoigne également de la dynamique des équipes régionales. Notre projet porte sur les époques ancienne, médiévale, moderne et contemporaine. Il reflète à la fois la richesse du patrimoine régional et la volonté des chercheurs de constituer dans notre Région un patrimoine régional, national et international enrichi par leurs soins. Cette réponse à l’appel du Conseil régional permettra que s’organise, dans le domaine de l’édition critique et électronique, une politique dynamique de collaboration et de recherche entre nos équipes.

Animation scientifique

Toutes les propositions retenues feront l’objet de séminaires au sein des équipes respectives. Nous assurerons l’animation scientifique de l’ensemble du projet au moyen d’une Journée d’étude annuelle, où chaque équipe sera appelée à présenter l’avancement de se travaux et où elle pourra faire état de difficultés rencontrées et débattre des solutions possibles. Les expériences et les ressources scientifiques de toutes les équipes seront ainsi mises à la disposition de chacune des équipes spécifiques du projet. Ces Journées feront l’objet d’un rapport annuel qui sera soumis aux autorités de la Région Rhône-Alpes.



Établissements rhônalpins engagés :
— Université Lumière Lyon 2 (établissement porteur), ENS-LSH (établissement d’hébergement)
— INSA, Université Claude Bernard Lyon 1, Université Jean Moulin Lyon 3, Université de Savoie (Chambéry), Université Stendhal Grenoble 3, Université Pierre-Mendès France Grenoble 2, Université Jean Monnet Saint-Étienne

Le CNRS participe à travers ses chercheurs à temps plein et son rôle d’opérateur national auprès des unités de recherche ou de service dont il partage la tutelle avec les établissements précités, y compris l’Institut des Sciences de l’Homme.

Dans la seule limite de ses moyens, le cluster a naturellement vocation à faire bon accueil à toute proposition en rapport avec ses thématiques lorsqu’elle émane de collectivités territoriales, d’associations, d’institutions ou d’entreprises rhônalpines.