Cluster 13

Projet

Création

Contact : Florent Gaudez

L’art, longtemps, s’est maintenu en Occident sur des hauteurs inaccessibles. Ses publics croyaient entrer dans un domaine réservé, pur de toute scorie sociale ou politique. Les créateurs eux-mêmes agissaient en tant qu’intercesseurs divins de la beauté. Puis les différentes révolutions industrielles sont arrivées qui ont changé la nature de l’art et de la création. Les publics se sont multipliés, ont évolué, se sont diversifiés. Les créateurs, malgré certaines résistances opiniâtres, ont dû descendre de leur piédestal et rentrer dans les arènes socio-économiques. Leurs préoccupations ne pouvaient encore demeurer purement esthétiques. Même si certaines pratiques artistiques ont tenté, en imposant des trames souvent obscures ou savantes à leurs fidèles, de s’abriter de la vie sociale, la plupart des créateurs admettent aujourd’hui, de bon gré ou non, qu’eux-mêmes et leurs œuvres sont mesurés à l’aune d’une actualité qui dépasse largement le territoire de l’histoire de l’art.

1) La proposition Création du cluster 13 Culture, patrimoine et création vise précisément cette collision entre la création et la société. Il s’agit d’abord de pointer la conscience de leurs responsabilités que les créateurs manifestent, la façon dont les œuvres se présentent dans l’espace public comme témoignages ou des déclarations de l’état de choses social, le statut, les droits et les devoirs que les publics attribuent aux œuvres et aux créateurs. C’est donc à un état des lieux que l’enquête menée par les participants au projet Création veut dresser. La variation des méthodes et des contrées de l’art interrogées constitue en soi-même une méthode, mais une méthode convergente. En rassemblant analyses de pratiques, interrogations de créateurs, enquêtes sur le statut des œuvres et des publics, l’on peut espérer mieux comprendre ce lien nécessaire du social et de la création dans notre actualité du vingt-et-unième siècle débutant. Dans cette perspective de recherche, le projet Création prolonge une tradition qui a donné des preuves ou des démonstrations historiques importantes. Par exemple, le travail de Hennion et Fauquet sur le statut de l’œuvre de Bach au dix-neuvième siècle ou celui de Baxandall à propos de la commande artistique à la Renaissance, ou encore, sur un mode plus culturel qu’artistique, l’étude de Argyriadis et le Menestrel autour de la guinguette . Des travaux récents ont montré la voie, qui consiste à cerner le comportement contemporain, dont les ouvrages par exemple de Bruno Péquignot et Nathalie Heinich témoignent respectivement au sujet de la littérature « Harlequin » et de l’activité littéraire . Il est clair que ce projet induit naturellement un ensemble de rencontres variées avec les acteurs de l’art et de la culture. Celles-ci peuvent prendre l’aspect d’interrogations venues de la part des publics (clients, consommateurs, amateurs) dont par exemple témoigne la proposition « les cultures étudiantes » et d’actions menées avec les professionnels ou s’appuyant sur leurs préoccupations. De telle sorte que ce projet ne peut que s’inscrire à l’intérieur des perspectives régionales dans le domaine de l’art et de la culture et participer aux manifestations qui en sont la marque.

2) Avant de revenir sur la spécificité des différentes propositions composant le projet, qui impliquent parmi les partenaires locaux l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, l’Université Lyon 2, l’Université Lyon 3, l’Université Grenoble 2, et bientôt les Universités de Saint-Étienne et de Chambéry, je voudrais d’abord déclarer leur activité commune numérique. Chaque projet implique la rencontre avec un grand nombre de « créateurs », en employant ce terme au sens large : les créateurs seront pour nous n’importe quel participant à un monde créatif (au sens des « mondes de l’art » de Howard Becker). À chacun nous demanderons de définir le sens que revêt pour lui son activité vis-à-vis du monde social. Un processus le plus rigoureux possible de recueil de données permettra d’obtenir la cohérence nécessaire et à faire de ce site une base de donnée importante pour tous ceux que les problèmes de la création intéressent. Grâce à l’ensemble conséquent de ces définitions,le site pourra être considéré comme une vaste déclaration d’intention de la part du plus grand nombre d’artistes possible concernant l’implication sociale, politique, etc. de leur démarche. Le tableau à double entrée créateurs / déclarations pourra être l’objet de toutes les classifications et de toutes les présentations possibles permises par l’outil électronique : on pourra en dégager les lignes de forces en fonction de catégorisations concernant les créateurs et / ou de catégorisations concernant les mots de la déclaration. Le site ne pourra que susciter commentaires et développements, eux-mêmes réintégrés dans les travaux de recherche des membres du projet « Création ». Par ailleurs le site pourra recevoir une part mises en scènes des univers de la création, où seront associées images, textes, réactions de spectateurs et déclarations des auteurs, éditeurs, etc. Aux proclamations et intentions déclarées seront ainsi associées des représentations des pratiques. Cette mise en regard peut par elle-même susciter réactions et intérêts.

3) Notre projet se prête assez facilement à la valorisation d’une culture scientifique et technique, même si c’est un peu moins vrai du projet « Propriétés des créateurs et propriétés de leurs créations : sociologies implicites des œuvres et socialisations des écrivains ». Mais les projets « Sociologie du mal : le récit policier, productions et réceptions », « Les cultures étudiantes » et « Les sciences et les arts à l’épreuve de l’interprétation et de la traduction » prévoient de nombreuses manifestations ouvertes au public ou de participation des publics, à travers les rencontres avec les artistes ou auteurs, ateliers d’écriture et de travail artistique, les mises en scènes des univers artistiques. Il s’agira ici de croiser trois points de vue, celui des chercheurs, celui des professionnels et celui des publics. Deux démarches seront privilégiées : la première consiste à s’appuyer sur des manifestations déjà existantes. Le cas du spectacle de la compagnie Acte, central dans la proposition « Les sciences et les arts à l’épreuve de l’interprétation et de la traduction » en est un exemple évident ; mais les enquêtes menées dans le cadre des « Cultures étudiantes », la participation aux manifestations (comme la fête du livre de Saint-Etienne) de la part d’acteurs du projet « Sociologie du mal », en témoignent également. Par ailleurs les propositions constitueront également en la matière un cadre incitatif. Les colloques et réunions diverses réunis autour d’éditeurs du livre policier et de distributeurs de séries policières (« Sociologie du mal »), d’écrivains (« Propriétés des créateurs et propriétés de leurs créations), d’acteurs du spectacle de danse (« Les sciences et les arts à l’épreuve de l’interprétation et de la traduction ») seront des occasions provoquées par l’une ou l’autre proposition de présenter nos données et recherches aux différents acteurs de la société civile.

4) Si l’on entre dans le détail des propositions constituant actuellement le projet, on peut apercevoir la diversité des milieux concernés et la continuité du questionnement : la relation entre un état des pratiques et l’image que ces pratiques suscitent est placée au centre des préoccupations.
-  À travers la proposition « Propriétés des créateurs et propriétés de leurs créations : sociologies implicites des œuvres et socialisations des écrivains », seront interrogés le statut social des écrivains, la socialisation que le milieu induit et aussi la vision sociale dont ils sont porteurs.
-  Le cadre choisi par les responsables de la proposition « Les sciences et les arts à l’épreuve de l’interprétation et de la traduction » leur permet d’interroger en même temps les opérations effectives des uns et autres en fonction des représentations dont les acteurs sont porteurs et la conscience de ces opérations.
-  L’objet de « Sociologie du mal : le récit policier, productions et réceptions » touche à l’échange de conceptions du bien et du mal dont le récit policier est l’occasion entre écrivains et éditeurs d’une part, lecteurs d’autre part. Là encore les différentes pratiques sont confrontées aux normes qui les gouvernent et à la réflexivité qui en découle.
-  Les recherches menées dans le cadre des « Cultures étudiantes » permettront d’abord de compléter utilement celles occupant les autres propositions : les réceptivités étudiantes à la littérature, à la danse et au récit policier traceront des portraits particuliers de ces objets. Elles auront ensuite l’originalité de définir les particularités d’un groupe particulièrement important dans le domaine de l’art et de la culture. Le regard étudiant, ou plutôt les regards étudiants sur le champ constituent sans nul doute une perspective décisive pour l’avenir.

Il paraît donc aisé de faire communiquer les propositions entre elles, de transférer les apports respectifs d’un lieu de recherche à l’autre, d’autant plus que l’excellente entente entre les responsables autorisera plus aisément ces transports.

Pour conclure la présentation de ce projet, je voudrais insister sur son actualité. Aujourd’hui le mélange de la communication et de la création, ou dirons certain la contagion de l’une par l’autre, efface des frontières qui paraissaient sûres. Aussi les pratiques et les objets voient leurs statuts chanceler ou fluctuer. Les créateurs sont eux-mêmes partagés : depuis les artistes qui multiplient les expositions-provocations et conduisent ainsi à des interprétations publicitaires de leur travail, jusqu’aux scénaristes de télévision qui ne savent plus s’ils œuvrent pour le public ou les annonceurs, personne n’échappe à l’équivoque. Le conflit des intermittents l’a montré, la société n’en sait pas plus : doit-elle considérer ces derniers comme des travailleurs-créateurs à part ? Bref, il semble que l’enquête sur le statut actuel de la création ne fait que commencer ; ce projet voudrait en être un jalon.



Établissements rhônalpins engagés :
— Université Lumière Lyon 2 (établissement porteur), ENS-LSH (établissement d’hébergement)
— INSA, Université Claude Bernard Lyon 1, Université Jean Moulin Lyon 3, Université de Savoie (Chambéry), Université Stendhal Grenoble 3, Université Pierre-Mendès France Grenoble 2, Université Jean Monnet Saint-Étienne

Le CNRS participe à travers ses chercheurs à temps plein et son rôle d’opérateur national auprès des unités de recherche ou de service dont il partage la tutelle avec les établissements précités, y compris l’Institut des Sciences de l’Homme.

Dans la seule limite de ses moyens, le cluster a naturellement vocation à faire bon accueil à toute proposition en rapport avec ses thématiques lorsqu’elle émane de collectivités territoriales, d’associations, d’institutions ou d’entreprises rhônalpines.